L'aube d'un nouveau monde
Il était difficilement possible de parler d'amour entre Ygerne et Gorlois, mais du moins existait-il beaucoup d'affection entre eux. De cette affection ne tarda pas à naître Morgane. C'était une enfant dispersée mais qui démontra rapidement une détermination farouche dans tout ce qu'elle entreprenait. Elle grandit dans le château de son père sous les yeux attentifs des serviteurs chargés de son éducation. Tout semblait pour le mieux. Un bel avenir se profilait devant la fillette. Mais tandis qu'elle jouait, la machine du destin se mettait peu à peu en place. Uther Pendragon, convoitant Dame Ygerne, déclara la guerre à Gorlois. Ils s'affrontèrent de longs mois durant. Morgane voyait de moins en moins de monde dans le château chaque jour et de violents fracas résonnaient entre les murs parfois. Malgré les questions qu'elle ne cessait de poser, personne ne lui répondit. Trop attristé, ou simplement effrayé à l'idée qu'elle sache la vérité, chacun préférait lui mentir un peu plus. Rester ici devenait de plus en plus dangereux. Gorlois décida d'envoyer sa femme et sa fille en sécurité dans la château de Tintagel. Morgane avait moins d'une dizaine d'années.
Une nuit, à l'insu de tous, Uther se glissa dans le lit d'Ygerne sous les traits de son mari. Le roi avait par la même occasion envoyé des gardes dans le château, chargés de le protéger en cas d'imprévu. Comme l'enfant capricieuse qu'elle était, Morgane avait refusé de dormir et déambulait dans les couloirs. Elle tomba sur son père, le vrai, qui rentrait de bataille. Ils se dirigèrent ensemble vers la chambre de ce dernier. Mais ils ne manquèrent pas de croiser les gardes d'Uther. L'un d'eux attrapa la fillette et l'empêcha de bouger, tandis que les autres s'engageaient dans une lutte impitoyable contre le duc. Affolée, Morgane se débattit, mais en vain. L'homme la tenait fermement. Gorlois, lui, déjà épuisé par son combat, se trouva vite en mauvaise posture. Il tourna la tête une dernière fois vers sa fille, lâcha son épée et reçu un dernier coup en plein cœur. Morgane hurla à s'en déchirer les poumons. Tandis que sa violente plainte résonnait dans tout le château, les vitraux et les vases explosèrent tout autour d'elle. La magie qui se terrait en elle venait de se révéler. L'histoire était en route, il était déjà trop tard. Arthur avait été engendré. Dès lors, Ygerne n'eut pas d'autre choix que d'épouser Uther. Morgane avait hurlé, pleuré, protesté, mais c'était une peine perdue. Elle resta ainsi prostrée dans sa chambre pendant plusieurs mois. Le corps mutilé de son père l’obsédait. Et la magie qui l'avait habitée, elle avait senti sa puissance. Quand elle sortit de sa torpeur, elle détestait Uther encore plus qu'avant. Tout comme le petit être qui grandissait dans le ventre de sa mère. Le roi savait cela, et il craignait la magie de la jeune fille. Il voulait l'éloigner au plus vite. Ygerne s'y opposa un certain temps mais il fit imposer son autorité. C'est ainsi qu'à l'âge de dix ans, Morgane partit dans un couvent.
Un destin brisé
Un soleil morne inondait le couvent d'une lumière blafarde. Depuis une lucarne sale, Morgane observait le ciel. Cela faisait bientôt cinq ans qu'elle était enfermée ici sur ordre d'Uther. Et chaque jour passé dans cet enfer, sa haine envers lui n'avait fait qu'accroître. Chaque coup qu'elle prenait résonnait comme une promesse de vengeance. Morgane se rebellait beaucoup et se faisait souvent battre par les sœurs. Elle refusait simplement de rentrer dans les rangs, de faire comme on le lui avait dicté. Ou plutôt, elle refusait de faire comme Uther le lui avait dicté. Elle avait été écartée, comme son père avant elle, pour que le roi puisse avoir la paix. Il lui avait tout pris, mais il restait encore à la jeune brune son don magique. Une des sœurs du couvent enseignait la sorcellerie et avait pris Morgane sous son aile. La jeune fille se révélait très douée, en particulier dans la maîtrise du feu. C'était bien la seule chose qu'elle faisait avec plaisir. Sentir la puissance affluer en elle, contrôler les éléments, avoir le droit de vie et de mort, étaient des choses qui l'amusaient de plus en plus. Son âme noircissait petit à petit. Morgane grandit rapidement et le temps vint pour elle de retrouver sa liberté. Elle était ravie de pouvoir sortir, mais quelques temps à peine avant sa sortie, la triste vérité s'imposa : il n'y aurait personne pour l'accueillir. Ceux qu'elle avait connu avaient grandi eux-aussi et avaient fait leur vie sans doute loin de la région. Le jour de sa sortie, elle resta donc de longs moments à méditer devant le couvent avant d'enfourcher son cheval et de galoper loin de cet enfer, qui finalement avait été son refuge pendant toute une décennie.
La nuit n'allait pas tarder à tomber. Morgane était en route pour le château du roi mais le chemin était long. Installée dans la forêt de Brocéliande, elle tentait en vain de faire un feu. Elle prononça une énième fois la formule tandis que ses yeux se nimbaient d'or, mais seules quelques étincelles jaillirent du tas de bûches. Excédée, elle recommença mais pas la moindre fumée ou lueur ne s'échappa du petit bois.
-La haine est une bien mauvaise conseillère, retentit soudain une voix derrière elle. Elle ne conduit qu'à des échecs.
Morgane fit volte-face. Un vieil homme était planté face à elle.
-Je n'ai pas besoin de vos conseils, vieux fou, répliqua-t-elle d'un ton acerbe.
Le pauvre homme n'en tint pas rigueur, un petit sourire étirant ses lèvres. Morgane fut surprise de toute la sagesse et la force qui s'en dégageait.
-Calmez-vous, concentrez-vous, et vous aurez la plus belle des flammes, dit-il calmement.
Septique, elle inspira profondément, ferma les yeux et murmura la formule. Le bois s'embrasa violemment.
-Bien, Morgane, reprit le vieil homme.
La jeune brune sursauta presque. Comment connaissait-il son nom ?
-Qui êtes-vous ? souffla-t-elle en amorçant un mouvement de recul.
-Certains m'appellent « l'Enchanteur » mais vous me connaissez sans doute mieux sous le nom de Merlin.
L'histoire traversera les âges
Dès lors, le magicien prit Morgane comme apprentie. Il pouvait sentir toute la magie en elle. Merlin avait le don de voir l'avenir, et bien sûr il avait vu la soif de vengeance de la jeune fille. Cependant il essayait à tout prix de contenir sa haine, dans l'espoir qu'elle finisse par pardonner un jour à Uther. De son côté Morgane ne connaissait pas le pouvoir de Merlin et n'avait rien dit de ses idées à son précepteur. Voilà longtemps déjà qu'elle avait planifié la mort du roi. Elle ne voulait pas l'attaquer de front, mais plutôt manigancer contre lui en secret. Elle voulait le faire souffrir comme elle avait souffert, elle voulait lui tendre un piège comme il en avait tendu un à son père. Elle avait aussi beaucoup pensé au fils d'Uther pendant son exil. Elle espérait pouvoir le rallier à sa cause, mais Merlin lui avait vite rapporté que son demi-frère était mort à la naissance, comme il l'avait raconté à tout le pays.
Quand Morgane fut de retour au château, elle se montra la plus gentille possible. Elle fit semblant de se repentir et le peuple l'accueillit avec joie. Elle se forçait à regarder Uther dans les yeux et à lui sourire alors qu'elle ne rêvait que de le voir mort. Depuis quelques temps elle se plaisait même à penser qu'elle pourrait prendre la tête du royaume. Mais l'approcher ne sera si simple. Le roi se méfiait d'elle depuis son retour, elle pouvait le lire dans son regard. C'était le seul qui ne croyait pas à sa supercherie. Très vite, il chercha le moyen de l'éloigner une nouvelle fois. Prétextant que c'était déjà une femme mûre, il lui dit qu'elle devait être mariée. Morgane essaya de trouver une solution pour éviter ça, mais le roi fut plus rapide qu'elle. Il avait pensé à Urien de Gorre, qui semblait convenir parfaitement. En froid avec Uther, il habitait loin du château et venait de perdre sa femme. Le mariage se fit très rapidement et une fois de plus Morgane se voyait écartée de la cour.
Durant les années qui suivirent, ses idées de vengeance ne restèrent que des rêves immatériels. Elle eut un fils, Yvain, et s'exerça à la magie pour la première fois sans l'aide de personne. Elle n'était pas amoureuse de son mari mais lui avait fait partager sa haine envers le roi. Urien était un homme compréhensif qui lui laissait beaucoup de liberté. Morgane avait beaucoup d'amants – sans doute autant que lui avait de maitresses. Elle était un peu moins précipitée qu'avant et désormais elle attendait le bon moment pour monter sur le trône. Mais un jour, le destin la devança : Uther trouva la mort. Ravie de cette nouvelle, elle rentra au château royal pour réclamer la couronne qui lui revenait de droit quand tout bascula. Arthur, son demi-frère censément mort, venait d'être fait roi. La nouvelle retentit dans tout le pays, mais aucun doute c'était bien le fils d'Uther. Pour preuve, Merlin le soutenait. Quand Morgane vit son ancien précepteur avec lui, elle ne ressentit qu'une profonde trahison. Il était le seul qui n'ai jamais réussi à obtenir son respect, mais il lui avait menti. Blessée, elle afficha sa haine avant de se retirer.
La jeune brune voyait en Arthur qu'une simple copie de son père. Pire encore, il abolissait les anciennes croyances et voulait changer le monde. Il avait dans l'idée d'interdire la magie et de réunifier les royaumes. Mais cette fois-ci elle n'avait pas l'intention de laisser sa chance passer. Elle élit refuge dans l'obscure forêt de Mongibel et fit construire une grande forteresse, le château de Kastell Gibel. Plus sombre que jamais, elle réunissait chaque combattant qui partageait sa cause. Elle était bien décidée à s'emparer du trône de Camelot et à rétablir les anciennes coutumes.